“Meine theuere Fürstin, dieser gute Brief…, comment avez-vous pu l’appeler…”
Lettere di Rainer Maria Rilke a Marie Thurn und Taxis
Segnatura: 17
Data completa: 1926 gen. 19
Descrizione: Briefwechsel: n. 439
Trascrizione: Meine theuere Fürstin,
dieser gute Brief ... , comment avez-vous pu l’appeler «trop longue», cette bonne lettre, ah comme elle était à la mesure de ma morne solitude forcée; d’ailleurs elle a tant réveillé man besoin de savoir beaucoup de votre séjour a Rome, de vous y accompagner en esprit, qu’à ce point de vue (pour être immodestement sincère) elle me semblait même beaucoup trop courte; car j’avais, en vous lisant, commencé d'être avec vous si attentivement, si intensément que je me sentais brusquement arrêté à votre départ a la quatrième page; et pourtant elles étaient grandes ces pages, j’en conviens, et je suis tout prêt de me déclarer coupable d’ingratitude en sollicitant davantage. Mais imaginez ce séjour et la longue patience à laquelle je m’emploie un peu en dehors de tout.
Que j’aurais voulu être avec vous au Palazzo Massimo! Si je me souviens de cet admirable palais? Et comment; il avait pour moi un attrait si singulier; je m’attendais, d’une fois à l’autre, comme a une surprise, à cette constatation de sa courbe; il m’était difficile de croire qu’avec sa façade hautaine ce palais eût tout simplement consenti au mouvement d’une route. Je le soupçonnais toujours, beau masque de colonnes, de cacher une figure, et je m’imaginais volontiers que c’était cela la raison de sa légère condescendance architecturale. Je crois que sous prétexte de visiter la chapelle de Saint Filippo-Néri, on aurait pu demander la permission d’y entrer; je n’ai jamais osé et je ne voulais pas de ce subterfuge... Mais j’y suis passé souvent, obéissant a l’appel mystérieux qui, surtout à Rome, vous force parfois de revenir vers un portail, un mur dédaigneux, une fontaine ... Et dire que maintenant j’aurais pu, sous votre protection, franchir ce seuil et parcourir avec vous ces vastes salons pour rendre mes hommages au maître de céans. Cela me fait penser à tout ce que je perds en n’etant pas auprès de vous ... Passer quelques jours, avec vous, dans ce Rome qui vous appartient par tant de souvenirs, y retrouver avec vous mes propres souvenirs, si pauvres qu’ils soient à côté des vôtres: quelle richesse à laquelle je renonce en pleine connaissance de mon innombrable perte ...
Le paysan de la Styrie ... Oui, on ne sait famais, et ce que vous dites du succès qu’il avait eu auprès de la Princesse Carola ne laisse pas de m’impressionner. Mais man «cas» est tellement compliqué, parce que, comme tant de personnes dont l'imag(in)ation s’égare, la mienne (je le crains) s’est faite collaboratrice de mes maux et les entretient, malgré moi et contre ma volonté, avec une obstination perfide: le Diable qui ne dort que peu (vieux comme il est) y trouve son campte. Il faudrait que quelqu’un, un événement, un malheur (puis que j’e suis trop âgé et trop abusé dans un certain sens pour appeler à mon secours un bonheur ... , «l’heur» tout au plus! ... ) un tournant inattendu de mon chemin me détournassent de ce corps dont je nourris mystérieusement les intentions de souffrance. Je n’ai jamais vécu à l’insu de mon corps, je l’avais invité de partager jusqu’aux plus fines jouissances de l’esprit, il était toujours avec moi, et si j’avais des ailes, je l’emportais en dédaignant de voyager en «âme seule». C’est le contrecoup à présent; n’ayant point bien compris ma générosité, il me force maintenant d'être trop avec lui, et il me fait inventer tout un drame, avec de nombreuses scènes pour le théâtre de son malaise! Ce pauvre paysan, dans toute sa perspicacité supranaturelle, me verra-t-il me débattre dans ma ... bouteille?!
Mille mille choses pour toutes vos entreprises romaines; an ne peut pas être plus avec vous que je ne le suis, cela doit me consoler!
Votre
D.S.
Mes souvenirs à ceux qui sont avec vous, aussi à Kerschbaumer!
Le libraire me fait savoir qu’il n’est pas sûr que la Vie de Liszt de Pourtalès soit déjà parue en volume; mais on l’attend et j’ai donné ordre qu’on vous l’envoie à l’instant de sa parution. En attendant je vous ai expédié mon exemplaire des mémoires de Boni de Castellane; vous y donnerez peut-être un coup d’œil le soir.